dimanche 17 mars 2013

CRISES TOGOLAISES: LA CRÉDIBILITÉ DES «FACILITATEURS»





En 1990, François Mitterrand prononçait à La Baule un discours important, qui stigmatisait l’impasse politique des régimes de parti unique et appelait les Chefs d’État d’Afrique, notamment francophones, à ouvrir le jeu démocratique. Si les principes énoncés dans le discours de la Baule étaient justes, leur application ne fut pas à la hauteur de l’espérance levée chez les peuples africains.
Les années 1990 ont bien permis au multipartisme de se généraliser mais, en dehors de quelques exceptions, cette démocratisation se fit en trompe l’œil. L’existence de processus électoraux formels n’a pas empêché certaines dynasties familiales de perdurer. Nombre de ces scrutins ont été marqués par des fraudes toujours massives et des violences inadmissibles. Le Togo du père et du fils, en est la caricature...
C'est théoriquement pour conjurer cette caricature que les dialogues, les rencontres et autres tentatives d'accord ont été engagés: entre le pouvoir et son opposition, le Togo entame aujourd'hui son 20e dialogue en 20 ans! Le record africain absolu! Il s'en est tenu à Lomé, à Strasbourg, à Paris, à Ouagadougou...etc. Nous avons vu passer des facilitateurs de tous ordres et de tous niveaux, rien n'y a fait.
Aujourd'hui, on nous en ressert deux nouveaux: le «G5» et un haut dignitaire de l'Église catholique. Réussiront-ils là où les nombreux autres ont échoué? On est en droit de s'interroger.
Concernant les délégations étrangères accréditées au Togo et regroupées pour la cause, sous le pompeux nom autoproclamé de «G5» pour sans doute parodier le G8 ou le G20, nous les avons vues précédemment à l'oeuvre, notamment lors des présidentielles de 2010. Quelle plus-value ont-elles apportée réellement?
Malgré les très fortes réserves de la mission d'observation de l'Union européenne (MOE) présidée par un élu du parlement européen, malgré les nombreuses mises en cause des acteurs politiques nationaux, elles ont purement et simplement fermé les yeux.Tous les membres du G5 connaissaient pourtant les termes exacts du rapport des techniciens de la MOE pour les élections présidentielles de 2010. Ils ont eu « in vivo » les commentaires écrits et non écrits du Président de la MOE, le député PPE espagnol Juan de Marfil. Mais contre toute attente, ils ont décidé de fermer les yeux sur toutes les irrégularités du processus électoral dont ils étaient tous témoins pourtant: les chiffres sur-gonflés du recensement électoral; le refus par le RPT des bulletins de vote infalsifiables et identifiables à souches, procurés à ses frais par l'UE; l'existence de bulletins de vote sauvages confectionnés par des imprimeries non moins sauvages installées par le pouvoir à Atakpamé et à Kara; les inscriptions massives de mineurs et d'étrangers sur les listes électorales; le jour du scrutin, le tripatouillage nocturne des résultats sortis des urnes, exécuté par le « congrès extraordinaire» des présidents de CELI tenu nuitamment d'urgence dans une caserne militaire de Kara; la «panne» du VSAT...etc, nos diplomates du G5 ont tout couvert et tout légitimé au nom de leurs gouvernements respectifs! Cette farce a coûté la bagatelle de 16 millions d'euros au contribuable européen et 1 million de dollars à l'américain!
Pire encore: prenant ouvertement fait et cause pour le pouvoir RPT et se comportant même par moments comme son porte-parole, lors d'une séance de «travail» à la chancellerie de l'UE, ils nous posent, à nous responsables de l'opposition, la question «qui tue»: «Qui vous a-t-il autorisés à annoncer avant le gouvernement que vous avez gagné les élections?» Sur leur lancée (et pourquoi s'arrêteraient-ils en si bon chemin?), ils nous prodiguent généreusement un conseil, un seul: «Vous feriez mieux de vous préparer pour les échéances futures: les élections locales de 2011 et législatives de 2012 »
Nous savions déjà que tous ces diplomates avaient pris comme habitude d'envoyer à leurs gouvernements leurs télégrammes journaliers rédigés à « l'eau tiède » concernant la situation sociopolitique du Togo, pourtant plutôt inquiétante. Mais personne n'avait jamais osé imaginer qu'ils étaient capables d'aller aussi loin dans l'ingérence et dans le mépris...
Si tous ces «spécialistes de l'Afrique», c'est ainsi qu'ils s'auto-désignent, sont envoyés au Togo sans la volonté de nous aider à faire changer concrètement les choses, alors qu'ils restent dans leurs bureaux climatisés et qu'ils laissent les Togolais régler leurs problèmes entre eux. Après tout, personne ne demande à un groupe d'ambassadeurs africains à Paris de venir régler les différends PS/UMP, pas plus qu'à ceux qui sont accrédités à Bruxelles de venir au chevet des querelles ethniques entre Wallons et Flamands! Il doit désormais en être de même chez nous.
Pour ce qui est de la hiérarchie de l'Église catholique, parlons-en! La pratique de la théologie de l'Église catholique du Togo est aux antipodes de la «théologie de la libération» chère à ses consoeurs d'Amérique latine! En effet, après avoir donné de gré ou de force sa bénédiction à toutes les malversations du RPT sous Eyadema, je l'ai vue fermer les yeux sur l'attaque en règle menée par les militaires contre le Sésal à Tokoin, propriété de l'Épiscopat. Je l'ai vue accepter de mystifier les Togolais en présidant cette fameuse CVJR dont il n'est rien sorti. Je l'ai vue finir par digérer le saccage par les gendarmes, de sa paroisse d'Amoutivé...et j'en passe.
Voilà les raisons qui ont contribué à couper les prêtres de base et leurs paroissiens de la hiérarchie de l'Église. Eux qui vivent avec leurs fidèles la même galère quotidienne, eux qui observent toutes les injustices faites aux Togolais, eux qui entendent gémir tous les dimanches leurs «brebis», ils ne comprennent pas la passivité et la résignation de leur hiérarchie.
Durant la campagne présidentielle qui m'a emmené dans les 346 cantons du Togo, je les ai rencontrés, je les ai entendus, je les ai écoutés... ces curés des villes et des champs; ces missionnaires de l'impossible; ces improbables apôtres du Christ, démunis, apeurés, affamés, tétanisés mais toujours dignes; ces silencieux de cette Église devenue une «grande muette»... Même s'ils n'expriment pas ouvertement leur colère et leur hargne, on sent ces dernières, rentrées mais tranchantes:
«Monsieur Kofi Yamgnane, vous qui pouvez les rencontrer, nos évêques, pouvez-vous leur dire que le peuple des fidèles ne les comprend pas... et que nous qui vivons au milieu de nos paroissiens déboussolés, nous ne savons plus quoi leur dire?»
Voilà les deux nouveaux facilitateurs du dialogue inter-togolais: le succès est garanti!



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