En
1990, François Mitterrand prononçait à La Baule un discours
important, qui stigmatisait l’impasse politique des régimes de
parti unique et appelait les Chefs d’État d’Afrique, notamment
francophones, à ouvrir le jeu démocratique. Si les principes
énoncés dans le discours de la Baule étaient justes, leur
application ne fut pas à la hauteur de l’espérance levée chez
les peuples africains.
Les
années 1990 ont bien permis au multipartisme de se généraliser
mais, en dehors de quelques exceptions, cette démocratisation se fit
en trompe l’œil. L’existence
de processus électoraux formels n’a pas empêché certaines
dynasties familiales de perdurer. Nombre de ces scrutins ont été
marqués par des fraudes toujours massives et des violences
inadmissibles. Le Togo du père et du fils, en est la caricature...
C'est
théoriquement pour conjurer cette caricature que les dialogues, les
rencontres et autres tentatives d'accord ont été engagés: entre le
pouvoir et son opposition, le Togo entame aujourd'hui son 20e
dialogue en 20 ans! Le record africain absolu! Il s'en est tenu à
Lomé, à Strasbourg, à Paris, à Ouagadougou...etc. Nous avons vu
passer des facilitateurs de tous ordres et de tous niveaux, rien n'y
a fait.
Aujourd'hui,
on nous en ressert deux nouveaux: le «G5» et un haut dignitaire de
l'Église catholique. Réussiront-ils là où les nombreux autres ont
échoué? On est en droit de s'interroger.
Concernant
les délégations étrangères accréditées au Togo et regroupées
pour la cause, sous le pompeux nom autoproclamé de «G5» pour sans
doute parodier le G8 ou le G20, nous les avons vues précédemment à
l'oeuvre, notamment lors des présidentielles de 2010. Quelle
plus-value ont-elles apportée réellement?
Malgré
les très fortes réserves de la mission d'observation de l'Union
européenne (MOE) présidée par un élu du parlement européen,
malgré les nombreuses mises en cause des acteurs politiques
nationaux, elles ont purement et simplement fermé les yeux.Tous les
membres du G5 connaissaient pourtant les termes exacts du rapport des
techniciens de la MOE pour les élections présidentielles de 2010.
Ils ont eu « in vivo » les commentaires écrits et non écrits du
Président de la MOE, le député PPE espagnol Juan de Marfil. Mais
contre toute attente, ils ont décidé de fermer les yeux sur toutes
les irrégularités du processus électoral dont ils étaient tous
témoins pourtant: les chiffres sur-gonflés du recensement
électoral; le refus par le RPT des bulletins de vote infalsifiables
et identifiables à souches, procurés à ses frais par l'UE;
l'existence de bulletins de vote sauvages confectionnés par des
imprimeries non moins sauvages installées par le pouvoir à Atakpamé
et à Kara; les inscriptions massives de mineurs et d'étrangers sur
les listes électorales; le jour du scrutin, le tripatouillage
nocturne des résultats sortis des urnes, exécuté par le « congrès
extraordinaire» des présidents de CELI tenu nuitamment d'urgence
dans une caserne militaire de Kara; la «panne» du VSAT...etc, nos
diplomates du G5 ont tout couvert et tout légitimé au nom de leurs
gouvernements respectifs! Cette farce a coûté la bagatelle de 16
millions d'euros au contribuable européen et 1 million de dollars à
l'américain!
Pire
encore: prenant ouvertement fait et cause pour le pouvoir RPT et se
comportant même par moments comme son porte-parole, lors d'une
séance de «travail» à la chancellerie de l'UE, ils nous posent, à
nous responsables de l'opposition, la question «qui tue»: «Qui
vous a-t-il autorisés à annoncer avant le gouvernement que vous
avez gagné les élections?» Sur leur lancée (et pourquoi
s'arrêteraient-ils en si bon chemin?), ils nous prodiguent
généreusement un conseil, un seul: «Vous feriez mieux de vous
préparer pour les échéances futures: les élections locales de
2011 et législatives de 2012 »
Nous
savions déjà que tous ces diplomates avaient pris comme habitude
d'envoyer à leurs gouvernements leurs télégrammes journaliers
rédigés à « l'eau tiède » concernant la situation
sociopolitique du Togo, pourtant plutôt inquiétante. Mais personne
n'avait jamais osé imaginer qu'ils étaient capables d'aller aussi
loin dans l'ingérence et dans le mépris...
Si
tous ces «spécialistes de l'Afrique», c'est ainsi qu'ils
s'auto-désignent, sont envoyés au Togo sans la volonté de nous
aider à faire changer concrètement les choses, alors qu'ils restent
dans leurs bureaux climatisés et qu'ils laissent les Togolais régler
leurs problèmes entre eux. Après tout, personne ne demande à un
groupe d'ambassadeurs africains à Paris de venir régler les
différends PS/UMP, pas plus qu'à ceux qui sont accrédités à
Bruxelles de venir au chevet des querelles ethniques entre Wallons et
Flamands! Il doit désormais en être de même chez nous.
Pour
ce qui est de la hiérarchie de l'Église catholique, parlons-en! La
pratique de la théologie de l'Église catholique du Togo est aux
antipodes de la «théologie de la libération» chère à ses
consoeurs d'Amérique latine! En effet, après avoir donné de gré
ou de force sa bénédiction à toutes les malversations du RPT sous
Eyadema, je l'ai vue fermer les yeux sur l'attaque en règle menée
par les militaires contre le Sésal à Tokoin, propriété de
l'Épiscopat. Je l'ai vue accepter de mystifier les Togolais en
présidant cette fameuse CVJR dont il n'est rien sorti. Je l'ai vue
finir par digérer le saccage par les gendarmes, de sa paroisse
d'Amoutivé...et j'en passe.
Voilà
les raisons qui ont contribué à couper les prêtres de base et
leurs paroissiens de la hiérarchie de l'Église. Eux qui vivent avec
leurs fidèles la même galère quotidienne, eux qui observent toutes
les injustices faites aux Togolais, eux qui entendent gémir tous les
dimanches leurs «brebis», ils ne comprennent pas la passivité et
la résignation de leur hiérarchie.
Durant
la campagne présidentielle qui m'a emmené dans les 346 cantons du
Togo, je les ai rencontrés, je les ai entendus, je les ai écoutés...
ces curés des villes et des champs; ces missionnaires de
l'impossible; ces improbables apôtres du Christ, démunis, apeurés,
affamés, tétanisés mais toujours dignes; ces silencieux de cette
Église devenue une «grande muette»... Même s'ils n'expriment pas
ouvertement leur colère et leur hargne, on sent ces dernières,
rentrées mais tranchantes:
«Monsieur
Kofi Yamgnane, vous qui pouvez les rencontrer, nos évêques,
pouvez-vous leur dire que le peuple des fidèles ne les comprend
pas... et que nous qui vivons au milieu de nos paroissiens
déboussolés, nous ne savons plus quoi leur dire?»
Voilà
les deux nouveaux facilitateurs du dialogue inter-togolais: le succès
est garanti!
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