Soyons
pragmatiques: un président est élu par son peuple pour s'occuper
d'abord. En vertu de ce principe simple et compréhensible de tous,
lorsque François Hollande s'installera à l'Élysée, ce sera pour
s'occuper prioritairement des Français qui en ont bien besoin. Il
n'ira donc pas en Afrique pour y installer la démocratie à la place
des Africains.
Pour
autant, en tant qu'humaniste et homme de gauche, il ne pourra être
insensible au sort des peuples africains.
Tout
d'abord, tirer le bilan de 50 ans de relations ambigües
Lors
de la présentation des 60 engagements pour la France, le 26 janvier
dernier, il avait placé son projet présidentiel dans une démarche
de volonté, de lucidité et avant tout de clarté et de justice.
Telle est toujours sa démarche dans la perspective où il lui
reviendrait de redéfinir les relations de la France avec l’Afrique
et en particulier avec les anciennes colonies ou ces pays sur
lesquels l’histoire a conduit la France à exercer divers mandats.
Au
nom de cette transparence et de cette justice, il privilégiera une
approche plus respectueuse des peuples d'Afrique par la
reconnaissance des aspirations populaires trop souvent brimées par
des régimes autoritaires et parfois corrompus.
C’est
en toute conscience qu’il veut tirer un trait sur le bilan mitigé
d’une indépendance politique acquise il y a cinquante ans et
depuis trop souvent dévoyée. Dénaturée à travers notamment la
Françafrique dont l’actualité récente en France nous a replongés
dans ses faits d’armes les plus cocasses au gré des déclarations
romanesques de ces petits porteurs de valises.
Cette
«Françafrique» a de multiples facettes:
le
soutien ou la tolérance vis-à-vis de régimes politiques
dictatoriaux, parfois installés par le gouvernement français
lui-même, au mépris des populations.
les
circuits mafieux d'argent et les trafics en tous genres, dont le sol
africain est devenu le terrain de jeux,
le
déni de l’Histoire, lorsque la majorité sortante, par la voix de
Nicolas Sarkozy, met en doute la capacité de l’Afrique à accéder
à la démocratie, voire à “rentrer dans l’Histoire”, niant
le passé parfois glorieux de ces peuples.
des
politiques de solidarité qui s’effritent, au profit d’illusoires
politiques de gestion concertée des migrations ou de promotion des
relations commerciales, au profit d’un nombre très limité de
multinationales.
des
interventions militaires improvisées, qui mettent en danger les
ressortissants français et donnent de la France l’image d’un
gendarme désirant avant tout préserver ses intérêts.
Ensuite,
refonder ces relations sur des bases seines
Tourner
définitivement la page de la colonisation, en finir avec les formes
plus ou moins subtiles du paternalisme néocolonial, regarder
l'Afrique comme elle est aujourd'hui et pressentir ce qu'elle sera
demain, entrer dans une coopération sur la base de l’égalité et
du respect mutuel et s'appuyer sur les forces qui feront l'Afrique de
demain: étudiants, jeunes entrepreneurs, diplômés au chômage,
artistes, écrivains, diasporas...
Enfin,
disons-le tout net: aux yeux de beaucoup d’Africains,
l’interventionnisme armé de la France et le recours très
«sélectif» à la Cour Pénale Internationale incarnent une
nouvelle «mission civilisatrice occidentale», rappelant à bien des
égards la douloureuse «pacification» de l’ère coloniale.
Pendant
les cinq dernières années, Nicolas Sarkozy en a fait la promotion.
François Hollande veut rompre avec ces clichés surannés.
Prendre
en compte l'impératif démocratique
Il
y a un an, une vague de mouvements populaires mettait fin aux
dictatures qui opprimaient la Tunisie, l’Egypte et la Libye. Cette
vague d’espoir a également atteint la Syrie, où la majorité de
la population se bat pour sa liberté. Au Sud du Sahara, d’autres
jeunes Africains partagent eux aussi cette aspiration à la
démocratie, à la liberté et au respect de leurs droits
élémentaires. On y retrouve la même exaspération face à
l’injustice sociale, la pauvreté, les inégalités, les
manquements à la liberté de la presse ou à l’indépendance de la
justice, et la même colère face à la confiscation du pouvoir par
un clan et à des joutes électorales jouées d’avance.
La
France aura la bonne réactivité devant de tels événements s'ils
venaient à se produire et elle encouragera la recherche de solutions
pacifiques négociées conformément à la culture et aux
civilisations africaines: à l'instar du Président Nelson Mandela,
François Hollande encouragera partout le pardon et la réconciliation
plutôt que l'affrontement et la violence.
Lancer
une opération vérité sur la politique d’aide publique au
développement
Un
constat lucide s’impose: l’aide publique au développement divise
les Français. Près de la moitié d’entre eux la juge inefficace,
quand l’autre moitié estime nécessaire de la poursuivre et même
de l'amplifier, en particulier en temps de crise. Cette division
vient, en partie, du caractère fantaisiste et mensonger des
déclarations d’aide au développement et d’engagements
internationaux jamais tenus. Si l’aide est trop peu lisible et
jugée inefficace, c’est aussi parce qu’elle est en réalité
très limitée. La France déclare 10 milliards d’euros d’Aide
Publique au Développement (APD) à l’OCDE, alors que la «mission
APD» n'a représenté que 3.3 milliards d’euros en crédit de
paiement dans la loi de finances 2012. Il est donc tout à fait
nécessaire de faire une grande opération vérité sur les comptes
de l’APD française pour rétablir tout à la fois la vérité et
la crédibilité de cet instrument. Depuis 5 ans, la politique de
coopération se caractérise par une «bulle déclarative», avec un
énorme écart entre les coûts pour l’État, qui sont faibles
(0.25% du PIB), et les sommes déclarées (près de 0.5% du PIB). Par
ailleurs, les remboursements massifs de prêts qui interviendront
dans les prochaines années entraîneront des flux non moins massifs
d’aide
négative!
Il y a là un problème démocratique majeur qui sera résolu dès le
vote du budget 2013, en faisant toute la transparence sur la nature
et la répartition des dépenses d’APD.
Participer
au renforcement de la sécurité collective en Afrique
Toute
instabilité sur le continent africain, aux portes de l’Europe, a
des conséquences pour la France, pour nos partenaires européens et
pour leurs ressortissants qui résident en Afrique.
C’est
pourquoi François Hollande souhaite repenser la politique de lutte
contre le terrorisme, en particulier au Sahel, pour permettre aux
forces nationales concernées de lutter plus vigoureusement contre
Al-Qaïda au Maghreb Islamique et les entités qui collaborent ou
commercent avec cette organisation.
Cela
supposera de clarifier la politique française en matière de prise
d’otages, et d’arrêter de financer d’un côté des
organisations que la France prétend combattre de l’autre.
Dans
ce domaine, en
partenariat avec l'UE et l'ONU, l'Union
Africaine et les organisations régionales et sous-régionales
africaines (CEDEAO, SADC, UEAC...) doivent jouer le rôle qui est
d'abord le leur, à savoir: définir
l’architecture de défense du continent.
Voilà
quelques-unes des orientations que retient François Hollande, après
cinquante ans de coopération chaotique.
Kofi
Yamgnane
Conseiller
aux Relations africaines